C’est une histoire de vie en communauté, entre chaque entité qui compose un espace. De vivre et faire vivre. Le récit comme une carte, qui n’engage ni propriété ni conquête, mais lourd de sens et de liens identitaires à la terre, créés par ces allers-retours permanents entre soi et l’espace, soi et la communauté, la communauté à l’espace, comme les Songlines aborigènes, ou les Birdsongs des Natifs américains. Les Songlines sont l’histoire des populations et des terres australes. Les communautés intriquement liées au passé du sol, qui lui même est tissé de croyances et d’événements passés qui font l’essence des traditions et cultures communautaires. Ce sont des récits d’espaces et de temps, qui s’étendent encore. Qui portent les mythes et périples fondateurs des Creators-Beings, autant que le récit d’une population décimée et de terres refondues, d’une culture qui grésille sans vraiment s’éteindre, qui est restée, malgré et contre l’acharnement colonial. Qui porte aussi rapport de la situation sociale contemporaine de la population aborigène au sein de la société occidentale dominante. Ce sont ces itinéraires et ces chemins empruntés par des entités mystiques dans le Dreamtime sur lesquels les essentiels de leur identité prennent source. Ce sont des itinéraires-récits, qui sont aussi des itinéraires sociaux, qui s’échangent de façon orale d’individu à un individu, qui sont dans les liens qui se tissent. Qui font partie de tout un rituel, de chanter ces lignes afin de faire vivre leurs racines, qui courent à travers ces lines. Ce sont des mythes et récits avec la forme physique de chemins réels sur un sol parcouru par les mêmes êtres qui les rapportent, permettant aussi aux populations de migrer à travers les terres, en répétant les noms de chaque étape à emprunter. Les Songlines avaient à la fois une prise sur leur passé et sur leur présent, faisant vivre à la fois les mythes et les territoires sur lesquels ils déambulaient.
Les Birdsongs sont aussi des cartes chantées, liées à la population des Natifs californiens particulièrement les populations Mohaves et Chemehuevi. Elles répertorient les repères topographiques, comme les sources d’eau chaude, rivières, lacs, reliefs ou sites sur lesquels sont présents des pétroglyphes, traces d’esprits qui ne communiquent uniquement qu’avec les shamans. La toponymie de ces lieux se crée dans les chants, à travers les récits de nombreux voyages, qu’ils effectuent dans le rêve, ou effectués par des divinités et esprits animaux. Les chants les placent dans une proximité intime avec la terre, lorsqu’ils content les voyages spirituels qui les ont emmenés dans l’espace et dans le temps, afin d’assister la création de leurs terres et de tout les éléments qui la constituent, alors qu’ils étaient encore à l’état fœtal, où ils ont pu suivre la naissance, puis les pas de leurs divinités à travers le territoire dans lequel ils évoluent une fois conscients et vivants. Il n’est pas question de mur, ligne imaginaire, ou quelconque frontière, mais de se considérer à part entière comme élément du territoire dans lequel ils naissent. Ils vivent, migrent et meurent sur des terres dans lesquelles un morceau de leurs âmes se trouve déjà. Ils connaissent les chemins qui strient le territoire, avec l’entièreté de leur être relié à la surface et aux profondeurs du sol, à travers le partage de récits, de chansons, de ces Birdsongs lors de cérémonies rituelles, qui dispersaient les savoirs à travers la communauté. Elles vont d’une source à une autre, faites de détours autour de camps, villages et sites sacrés, formant un réseau conté à l’oral, qui reliait toutes les communautés, non soumis à quelque frontière ou délimitation de territoire. Une toile brisée lorsque les premiers pionniers se sont insérés dans ses motifs. D’abord par la création de routes, pour le commerce et l’industrie, puis par la politique d’extermination des natifs au début du 18e siècle.
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Rester. S’imprégner de ces villes en état de suspension et partager cette situation si particulière qui les définit. Ces villes dans lesquelles on passe mais où l’on ne s’arrête pas. Elles n’ont pas de propension à aller dans un sens ou dans un autre, elles se tiennent juste au carrefour de plusieurs directions possibles, en attente qu’il se passe quelque chose-n’importe quoi. Elles partagent les symptômes des villes balnéaires, comme si l’île en entier achevait progressivement une mutation en un
complexe touristique, dans lequel personne n’habiterait réellement, dans une telle attraction. Mais la ville n’en est pas encore là. C’est cette escale dans laquelle même le temps s’arrête pour y demander son chemin. On y fait des choses simples, comme y vivre, encore. Ceux qui restent observent les présences furtives des uns et
des autres dans un dialogue perpétuel entre les arrivées et les départs, comme si le temps était reparti sans eux. Il y a ceux qui appartient à cette dimension du momentané, et qui existent dans cet
état transitoire qui les définit, qu’importe leur but, quelle que soit leurs allégeances. Ceux qui continuellement se nourrissent de l’espace pour construire autre chose, peut-être. Ceux qui traînent dans leurs voyages toujours les mêmes formes, à la recherche du familier dans l’inconnu, dont les motivations ne sont finalement pas si flexibles. Qui évoluent dans une même dimension, sans jamais se regarder. Construisant un itinéraire, construisant un territoire. Différentes nations, différentes errances. Toujours observés par ceux qui restent, dans cet état suspendu entre le hier,
l’aujourd’hui et le demain. Dans leur vision singulière de ce qui les entoure, jamais vraiment entièrement similaire à une autre. Qui matérialisent leurs conceptions et leurs projections identitaires sur une zone d’action définie, constructions croissantes qui s’abreuvent de chaque passage d’entités furtives, chaque fois différentes. C’est la danse de l’attente et des départs, entre ceux qui partent et ceux qui persistent. Une ville comme une autre, de celles comme des aéroports.