Yoko Ono propose des territoires prêts à être établis, sur le point d’être au monde ou de disparaître, avec des frontières en propension à être ou ne pas être installées. Elles n’ont plus d’existence propre, deviennent des suppositions quant à leur position. Le déplacement de leurs réalités dans le possible ouvre la disponibilité des étendues de sol, et toutes les opportunités de positions et mouvements de corps sur de nouveaux horizons, et décider du lieu de ces seuils subjectifs pour s’affranchir de ceux imposés. En divisions universelles sur tous types de sols, en installations d’échelles de valeur parmi les communautés, micro-communautés et groupes, qui perdurent, se multiplient et renforcent l’héritage des conquêtes de terres, qui de cette façon ne s’éteignent pas et se renouvellent. La mise en avant de la fiction dans la frontière permet aussi de comprendre la véritable portée de ses limites personnelles, qui n’ont pas forcément d’attaches au sol mais au corps auxquelles elles se référent, c’est à dire le sien. Comprendre comment co-exister, comment co-s’installer parmi tout les « territoires organiques » déjà présents. Mais aussi permettre de trouver un équilibre, entre la préservation et l’ouverture des sols, pour que les deux soient poussés à leur maximum sans s’entraver l’un l’autre. Puis éventuellement évoluer en parallèle, sur plusieurs feuilles de sols continues, sans jamais se croiser, s’enchevêtrer, se contraindre ou s’opposer. Penser tissu de réalités, qui fonctionnent seuls mais aussi ensemble. Devenir flux. Habiter et investir des lieux-itinéraires, qui sont mouvements et migrations, dont la position est éphémère mais dont l’essence est perpétuelle.
Le lieu-itinéraire, comme une matière première pour construire son propre espace. C’est prendre part à une utopie, selon la définition de Jean Cristofol : « Les utopies ne sont pas seulement des visions illuminées d’« ailleurs » impossibles et inimaginables. Ce sont des constructions qui posent dans la continuité d’un espace en droit franchissable, la figure d’une altérité qui nous ressemble et dans laquelle nous pouvons reconnaître, serait-ce sous une forme inversée, ou reconnaître ce que nous pourrions ou devrions être. L’utopie creuse la distance entre notre monde et le monde qu’elle décrit, pour mieux nous proposer d’imaginer les possibles de nos propres sociétés »*. Une utopie mise en attente, sur le point de changer d’état, de l’idée à son application, suspendue dans son statut propensif, enveloppée des attentes liées à son éventuelle transformation, au carrefour de plusieurs futurs, de son passage de l’abstrait au concret, ou par son errance dans le registre des concepts plus ou moins achevés. C’est attendre un événement qui sera peut-être, ce qui nous place, nous aussi, en suspension. Un événement, qui placera l’utopie du lieu-itinéraire dans le réel, déclencheur d’une mutation progressive, jusqu’à un statut d’hétérotopie.
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Quitter l’entre-deux qui existe entre les départs. S’engager dans une migration sans non plus y prêter une quantité de mouvements. Je pense qu’il n’y a que dans le vide que l’on apprécie les distances. Etre témoin de sa propre vitesse, dans l’attente, immobiles, assis dans un véhicule qui se propulse dans le temps, quelle que soit son rythme, entre la proximité et le lointain, que l’on soit acteur de son mouvement ou non. Traverser les espaces, faire soi-même territoire à travers tout les morceaux de terres que l’on fend parmi les minutes qui s’éteignent. Qui n’ont plus vraiment de sens, à s’enchaîner les uns après les autres, dans un ensemble flou, perçus dans la focale brisée d’une vitre usée. L’endroit où l’on se trouve n’a pas vraiment de sens, seul compte le départ et la destination, entre lesquels on se divise pour un temps, n’appartenant à rien entre les deux. Être actif dans son déplacement implique que l’on fasse l’expérience physique de la distance, d’engager une action dans l’espace-temps par le mouvement du corps. Que ce soit par la marche ou par quelque moyen d’avancer, ou bien par le seul fait de vivre, et d’avancer dans le temps. Le véhicule donne cette fausse impression d’immobilité, dans lequel le temps devient plus une notion d’espace que les distances parcourues. Par l’attente. L’attente devient repère spatial, plutôt que par l’ampleur des terres traversées. Le véhicule, c’est un peu cette capsule temporelle dans laquelle les frontières spatiales n’ont plus vraiment de raison.