Paris - New York          
      
L’animal est une métaphore sociétale, celle de l’individu en dehors des enceintes qui contiennent ses mouvements et gestes par n’importe quelle direction. Alÿs déplace sa métaphore sur des terrains qui ne sont pas les siens, qui lui sont refusés, et on pense du coup aux migrants ou toute autre personne qui par leur passeport restent au pied des seuils sans jamais les franchir, ou bien qui jamais ne se séparent de l’ombre de la porte de sortie, avec toute perception d’avenir en suspension au-dessus du sol. C’est comme si le «physiquement présent » n’était jamais complet, qu’il manquait un morceau de corps resté en arrière, en gage aux frontières. D’individus toujours pris dans un filet de lignes démarcatrices sans aucune perspective, même furtive, captifs dans un entre-deux, entre plusieurs poches de sols en même temps. À travers Nightwatch, l’animal est cette métaphore qui va à travers les limites, brise les murs et les espaces clos. Comme si toute paroi pouvait disparaitre et revenir à un sol qui n’est plus prison mais belvédère sur une   multiplicité de perspectives. Une vitrine par laquelle plusieurs perceptions différentes se superposent, qui font lieu par l’expérience qui s’y développe, qui en fait l’essence. Ce qui fait que tout sol est différent en fonction des individus qui en parcourent son étendue, qui se rencontrent et se séparent, et de rencontres en rencontres se nourrissent d’autres lieux afin de construire le leur. Tirer ce qui anime un corps en fonction des espaces visités, et percevoir ses propres limites, comme avec les Lignes d’Erre de Fernand Deligny, dans lesquelles les enfants évoluent dans la portée de leur corps et de leurs besoins. Des limites poreuses, qui s’accrochent aux autres corps et forment un tissu mobile, toujours de passage, dans une temporalité plus ou moins déterminée, sans vraiment prendre racine sur le sol physique. C’est clamer une terre non pas pour ses intérêts mais  à disponibilité de mouvements individuels et multiples, de volontés ou d’imaginations partagées. Mettre en commun les richesses à la surface, parmi tous les éléments et corps en transit, sans vraiment figer les échanges. Apprendre à errer dans la cohésion de toutes les versions variées d’un même sol, sans dominance d’une perception sur une autre. Circuler à travers les possibilités, activer un sol à travers un mouvement, c’est ce que propose Yoko Ono à travers des protocoles, des rituels pour une perception commune qui viendrait se diviser en une infinité de subjectivités.


     
49.031303, 3.107975.

 

Retour aux premières phrases, aux premiers départs et aux dernières arrivées, aux lieux figés par la charge affective variant d’un individu à un autre, qui paraissent être la seule option de retour sur laquelle se retourner quelque soit la destination. Sûres et inchangées ces pierres qui encrent l’appartenance de chacun à une identité localisée, dont le temps ne fait qu’élargir le territoire partagé entre tout les acteurs de cette relation ambiguë d’appartenance. Le Nord et le Sud, l’avant et l’après n’ont plus vraiment de sens lorsque l’on parcourt une boucle sans extrêmité définie. Par la succession d’allers-retours la direction devient confuse, la raison de sa position devient soluble à l’intérieur de toute la zone couverte. Des instants immobiles dans lesquels on se demande si l’on est vraiment à notre place, à travers cette étrange relation entre l’origine et la coordonnée, par laquelle on se sent toujours lié, d’une façon ou d’une autre. Des questions qui se balancent de l’inertie au mouvement, de la fin d’une action jusqu’à sa reprise, d’un endroit à un autre, entre un passé et un présent qui lient le corps à tous ces sols. Qui fait liaison avec le point de départ, depuis lequel tout nos mouvements dépendent de quelle longueur de corde est à disposition.  Au final partir en migrations détachées. Détachées à plusieurs échelles de liens et de terres, entre une prise de distance plus ou moins grande avec les points de départs, et une résistance plus ou moins élévée aux démarcations de territoires. Des limites beaucoup plus frêles qu’elles peuvent laisser paraître, qui par le mouvement révèlent la vérité sur leur nature. Francis Alÿs dans son travail, resserre son objectif sur les jours des murailles et le vide de sens, autant dans la pierre que dans le trait. The Nightwatch en est un exemple parmi d’autres, cette vidéo qui montre un renard qui erre dans les couloirs de la National Gallery de Londres. Cet animal comme un élément rapporté, qui juste par sa présence brise la    relation d’appartenance sociale au lieu. Parce qu’il n’est pas censé etre là, que personne n’a décidé que les corridors d’un musée national étaient territoires pour tous. Parce que même si le sol est le même, les terres ne sont plus les siennes. Un animal est un être apatrié, auquelles les limites et les frontières ne semblent pas s’appliquer mais qui sont soumis aux poches de propriété, qui souffrent plus des micro-fentes créées par les grandes lignes que de l’enceinte en elle même. Il est comme métaphore pour tous, un renard comme conquérant ces lieux auxquels il n’appartient pas, par les brèches des murs parcourt les espaces pour les quitter et puis sûrement de jamais revenir, mais c’était plutôt une question d’action que de trajet, celle d’aller à travers les frontières, ces murs par lesquels les cultures et patrimoines deviennent inatteignables, depuis les deux côtés des parois.