Un tissu de trajets qui pourrait s’étendre, jusqu’à disloquer les lignes rigides qui sont installées, comme le représente aussi Mona Hatoum, lorsqu’elle montre des frontières transformées en petites billes qui s’éparpillent avec le passage du public.
Comme si le déplacement des gens, de la foule, par leur trajets et migrations, réduisait en particules les parois qui contiennent la société, comme l’explosion d’un vase clos afin de retourner au lit de la rivière. L’itinéraire et le trajet sont manifestes, manifestes du rejet d’une grille au passé colonial, lourde d’une violence encore actuelle qui empêche les sociétés d’avancer.
L’artiste explore les conflits, les controverses de genre, de nation et de sol. En 2015, elle détruit les frontières. Détruit le territoire. Détruit les représentations conventionnelles, le modèle de projection cartographique de Mercator et la mappemonde occidentalo-centrée. Elle a détruit le découpage actuel autant que la topographie géologique, tout se délitant à chaque tremblement. Les frontières se disloquent à chaque mouvement de foule, dans l’incessance d’allers-retours. Les migrations fluctuantes des visiteurs autour de l’installation Map ( Clear ) au Centre Pompidou n’ont fait qu’encourager sa mutation en un territoire flou, morcelé et décomposé pour être ré-arrangé à la guise de l’artiste, ou à celui du hasard lié aux vibrations du sol. Elle s’est posée comme une fenêtre sur la situation réelle, un belvédère sur ces frontières fragiles et friables, pas entièrement réelles, sans plus aucune raison d’exister, car leur présence perd en sens face aux perpétuels mouvements qui secouent le territoire, qu’ils soient de nature géologique ou artificiels, liés à l’expansion humaine ou aux conflits, ou encore migratoires et liés au échanges interculturels. Les contours de l’installation n’explosent que pour être ré-assemblés par un flux de passages constants, et crée cette étendue au dessein polymorphe, assez représentative de l’espace de base au final, car il n’a pas de forme prédéfinie autre que celle qui lui est imposée en termes de géologie. Le territoire dont il est question est support de mouvements divers en tout sens, et n’a aucune délimitation virtuelle liée à une divergence d’appartenance de sol, au vu du nombre d’individualités qui sans cesse se croisent et se re-croisent, qui potentiellement clament aussi leur part de propriétés fugaces. Il se crée un autre lieu, non contenu par une carte quelque qu’en soit la nature, qui n’a pas vocation à être mesuré ou détenu. Qu’aucune carte ne puisse apprécier, du moins aucune carte comme celles qui sont les plus communes, en 2d, sur du papier. C’est précisément le rôle de Map ( Clear ), celui de remettre en question le partage du territoire, mais aussi interroger la représentation plane et muette que l’on en connaît. Une carte, autrement qu’un outil de mesure est aussi un outil de communication, ou plutôt un moyen de trier l’information, de dire ou d’omettre ce que l’on veut bien transmettre. Les cartes ne donnent que l’impression d’un équilibre chimérique, « d’ un espace mesurable et stable » d’après Mona Hatoum. Une illusion comme un voile sur le réel, dressant des murs en deux dimensions tout en unifiant de façon régulière et satinée ce sol qui détient tant de possibilités.
Un sol dont la division révèle les états de souveraineté, construits dans une société au détriment d’une autre, dans une relation de dominant/dominé. Des divisions qui permettent la prospérité de cette hiérarchie, et qui sont principalement là pour empêcher les migrations, que ce soit pour en sortir ou pour y rentrer. C’est aussi une question de passeport, un passeport qui révèle la classe sociale d’un individu, qui décide
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Traverser les voies calmes de la ville, faillir à se perdre dans les allées et s’échapper avec le temps, occupant un séjour furtif dans les espaces seulement agités par le vent. Ressentir une familiarité inconnue dans les rues, retrouver les mêmes repères dans des espaces différents, à des lieux les uns des autres. Effectuer ce même geste répétitif de se raccrocher aux choses connues quelles que soient les circonstances.
Développer ses propres destinations et ancrer dans sa réalité la création inconsciente de ses propres motifs qui ne sont actifs que lorsque l’on les emprunte. Parcourir un itinéraire personnalisé,
intérioriser l’extérieur, brouiller les frontières entre le dedans
et le dehors. Prioriser le voyage actif au voyage passif, devenir
acteur de son périple à la place de consommer les espaces. Partager un souvenir commun avec le sol dans un temps limité, comme un cierge dont la cire se dissout au fil des minutes. Enchaîner toujours les mêmes croisements, qui s’illustrent dans la construction d’une zone de plus en plus familière au rythme de la répétition des pas effectués. Fendre la ville de part en part, du centre de la cité à
la jonction entre les massifs et l’Océan Atlantique. Plus communément appelée zone portuaire, à l’extrémité Nord de la capitale. Avancer dans le silence toponymique sans la capacité d’en comprendre l’écho. Relier toutes les poches de la cité à pied-
s’accrocher à la transparence des différences, à l’achèvement de
chaque avenue. Les ports sont comme les gares ou les aéroports, des points de rencontre pour les départs et les arrivées, de marchandises ou d’excursions, certes beaucoup moins populaires. Prendre le bateau, c’est maintenant plus souvent à propos du trajet
que de la destination, de se divertir de la voiture, du train ou de l’avion, devenus plus effectifs. Ça relève d’un genre d’expérience à
vivre, très bien installé dans son statut d’attraction ou de loisirs. Seul reste le fret- activité qui joue encore de la
fonctionnalité maritime. Parmi les circulations, il y a aussi les rondes militaires, dont la présence est demandée autant que sur tous
les autres seuils. Demandée- ils sont simplement là, qu’on les ait demandés ou non. Affirmant une autorité, presque muette pour le cas du port, représentée par un grand bâtiment flottant, gris, avec
trois bandes aux couleurs du pays. Un vaisseau qui se fond parmi les autres mais qui est là, même s’il tend à se faire oublier. C’est une présence fantomatique aux abords des côtes, toujours légèrement en mouvement, dont l’amplitude semble couvrir l’ensemble
de ses alentours, comme digne d’avoir sa place dans un roman de
Georges Orwell. Une vue qui enregistre les actions, sans un regard en retour. Tous les itinéraires et les histoires, les récits-territoires, qui surveillés glissent lentement hors de la
portée de ceux qui les empruntent.