de sa production, de la fin des années 80 à sa mort en 2007, va venir de sa volonté d’inventorier le passé colonial qu’il y a entre les deux pays et les blessures liées, comme pour déterminer ce qui lui reste pour qu’elle puisse construire son propre patrimoine. Une volonté propre en tant que Mongrel, un produit du passé difficile entre les deux pays, dont la tension laisse des traces sur les peuples encore actuellement, qu’elles soient sociétales ou économiques. Un produit d’intervalles incertaines, de zones plus ou moins neutres, à L’entre-deux des démarcations territoriales et culturelles, d’identités construites à la fois de faits et de fictions. D’être deux entités en même temps sans vraiment en assumer aucune, vivre marquée par des lignes imaginaires autant que le sol peut l’ être.
La frontière est l’affirmation d’un pouvoir sur une terre, d’une emprise détenue par un groupe de personnes que d’autres n’ont pas, dont l’origine vient des conquêtes. Elle se modélise sur une carte, qui vient elle-même re-modeler le sol en un espace cartographique. Et c’est par des allers-retours, de seuils à seuils qu’elle se dissout dans le mouvement. Par la construction d’itinéraires, balayant les lieux comme n’importe quels autres, qu’importe le pouvoir auquel ils sont soumis. Des trajets plus importants que les lieux dans lesquels on reste, qui s’appliquent par dessus les bordures déterminées. Par les zones poreuses, interfrontalières, qui par le partage de cultures
s’en créent une nouvelle, moins contenue, plus éparse, à cheval sur
plusieurs nations, à la fois unique et familière à plus de monde. Des déplacements qui en font un territoire flottant, pas forcément
territoire mais plus tissu de cultures et relations, dont la maille
est large mais n’empiète pas sur les autres existants.
19/04-20/04/18_ 64.191510, -51.674344.
Repartir sans vraiment s’être imprégnée de quelque chose. Emporter seulement l’idée que l’on s’est fait de ses propres tracés à travers les rues et les différentes lignes de bus. De penser que l’on y a à moitié vécu, du moins y croire furtivement. Monter dans un taxi vers 19 heures au pied d’un immeuble, atteindre l’aéroport 15 minutes plus tard. Prendre des dernières notes. Pour la première fois, retourner sur ses pas, poursuivre les mêmes allées de ce bâtiment que l’on a déjà parcouru. S’approcher du familier par le déjà-vu, sans quitter ce sentiment de lieu étranger. Être ici pour s’occuper des choses inachevées, comme commencer à clore cette boucle entamée il y a plusieurs semaines, viser la première étape. On voyage souvent avec cette idée d’une destination lointaine, alors que la plupart du temps le point d’arrivée est le même que le point de départ.
Faire face à Davis Strait, glisser de minutes en minutes, franchir le seuil des heures en attendant le prochain départ qui viendra combler le précédent. L’attente, c’est un belvédère sur le voyage dans le temps. On prend de la distance pour en contempler l’avancée. Apprécier différemment chaque minute en fonction de sa propre évolution, remettre en cause sa relation personnelle avec le temps. Être témoin de l’opposition entre soi et le corps temporel qui nous traverse. Attendre sans vraiment savoir quelle est la direction à prendre, ni quand es-ce qu’elle se révélera. Se rapprocher de la frontière d’un certain équilibre de ses acquis, à propos du territoire visé, aux limites de ses capacités. À la place vivre les deux faces d’un piétinement continu autour d’une aire délimitée, celle des heures étirées de la nuit et des furtives minutes du jour liées à une reprise d’activité imminente.