Paris - New York              
      
        

Deligny s’émancipe du système de circulations en huis-clos, et avec les Lignes d’Erre il montre des individualités sans trajectoires pré-conçues, comme une alternative à l’enfermement dans des poches circonscrites, dans des terres soumises à une division imaginaire. Il remet la relation entre l’espace et le corps au premier plan, au même niveau, un corps comme territoire parmi d’autres, comme une juxtaposition de calques sur lesquels sont dessinées les zones d’actions de chacun, sans annuler celles du reste, qui re-questionne le sens du morcellement des terres. Si la liberté de circuler librement à travers tout sol était la même pour chacun, comment les frontières se justifieraient-elles? Si était donnée la conscience de ses propres limites, chacun  évoluerait comme un corps parmi des semblables sans distinction d’additifs. Sans rapport de comparaison et de pouvoir, du moins qui ne s’appliqueraient pas aux biens décidés communs, qu’ils le soient par nature, comme le sol et les terres, ou de droits partagés par décision prise par l’ensemble d’une communauté. Justement, sans aucune frontières, l’entre-deux re-devient lieu sans forcément être l’asile de personnes coincées à mi chemin de deux repères ou de plusieurs limites, et ouvre sur sur des horizons publiques, sans être cloisonné de lignes fictives.

        

 

        

L’artiste à la double nationalité, à la fois Danoise et Groenlandaise Pia Arke exprime cet état, d’être retenue entre plusieurs directions, plusieurs sols, deux cultures opposées, autant sur leur nature que sur leur statut. D’être  suspendue, sans parvenir à comprendre pleinement la complexité des deux, de ne jamais en faire vraiment partie. Pia Arke travaille sur la condition d’entre-deux, celle de naître et d’évoluer sur la relation entre deux cultures qui n’ont pas le même statut, en positions de dominantes et dominées, colons et colonisés. De détenir la bi-nationalité, entre l’oppresseur et l’opressé. Elle parle d’une incapacité, dans laquelle elle ne peut rien atteindre ni comprendre pleinement de ces cultures, en particulier la culture Inuit. Elle a travaillé en particulier sur la relation entre ces deux pays, parce la situation la concerne personellement, cependant le discours tenu résonne aussi avec les voix muettes d’autres lieux et d’autres peuples, comme celle des américains natifs, des samii ou des aborigènes, ou de toute population au passé colonial. Des individus à qui la culture et le patrimoine ont été retirés et qui se battent encore pour en retrouver les traces, dont la mémoire ne réside plus    que dans le sol. Des individus toujours soumis à cette hiérarchie sociétale, encore pris dans une situation économique ou sociale qui ne leur permet pas de se reconstruire pleinement. Pia Arke va incarner ce personnage en quête de ce qu’elle ne peut atteindre, mener des enquêtes. Elle va construire un stenopé à taille humaine,  avec lequel elle va voyager, par bateau, sur les côtes du Groenland, et produira sa série photographique Imaginary  Homelands, une série sur la base militaire de Thulé, au nord du Groenland, avec des images frontales en noir et blanc de pavillons en bois, à la fois proches et distants, de facades de maisons qu’elle a connues enfant, qui dans les photographies ont cette dimension d’intime et en même temps d’incompréhension, de distance. C’est une question de capturer  les paysages et sols qui représentent une culture, à laquelle elle n’ appartient pas entièrement sans en être étrangère. Une démarche qu’elle avait déjà expérimenté avec une série de photographies prises deux ans plus tôt au Nuugaarsuk Point, au sud du pays, sur lesquelles elle  superpose son propre corps, en référence aux  cas « d’hystérie arctique » « découverts » par l’explorateur / colon Robert Peary au début des années 1900, comparant les cas d’hystéries de femmes occidentales à ceux auxquels seraient supposément sujettes les femmes Inuit, une hystérie plus « animale et enfantine », bien sûr beaucoup moins distinguée que leurs contemporaines continentales. La plus grande partie