Paris - New York              
      
        

La seule chose qui relie tout ces sites, c’est le déplacement du corps sur l’espace, le trajet effectué par-dessus les limites, comme si par circuits et croisements le corps avait le pouvoir de créer un nouvel état spatial, sur lequel les frontières n’auraient aucune portée. Comme  si le corps pouvait faire lieu. Ce sont des principes semblables à ceux que Fernand Deligny avait développés avec les enfants autistes     dans le centre d’accueil dont il était en charge dans les Cévennes.          

        

 

        

Il s’appuyait sur la notion de projection d’un être sur l’espace, sur la communication par le mouvement, sur le rejet de l’omnipotence de la parole. De cette parole unique, seule pour définir l’entièreté des choses et des êtres. De cette parole souvent inadéquate à tous, le language étant de toute façon si subtile et si divers, variant suivant le milieu social, le genre ou la nationalité. Pour l’éducateur et ses jeunes patients autistes, il est question de tout redéfinir, le vocabulaire, les structures et les méthodes. La structure disparaît, et donne champ libre aux enfants, les mots se distordent et se recherchent, on joue dessus jusqu’à trouver la meilleure note. Deligny parle de ce rapport à l’espace comme d’un rapport d’expression, en dialogue avec le geste, là où la parole est impuissante pour traduire l’essentiel. Les Lignes d’Erre sont des témoignages de déambulations instinctives effectuées par les enfants, accompagnés d’adultes ou non, dans des espaces familiers ou  à l’extérieur. Elles sont dessinées par ces adultes qui observent mais qui n’interviennent que très peu, complétement étrangers au milieu médical, ils sont agriculteurs, boulangers ou étudiants, de façon à ce que leur relation avec les enfants n’aient pas du tout la même contenance que le rapport de dominance traditionnel qui existait ( et qui existe toujours ) entre une structure médicale et le patient, comme une structure-prison restreignant tout mouvement   ou toute initiative. La relation à la communauté est privilégiée à l’autorité, et l’accès aux espaces est égalitairement partagé par tous les individus prenant part au projet, sans aucun rapport de force ni de statut. Grâce aux Lignes d’Erre, on perçoit que les enfants construisent leurs propres territoires dans les espaces      qui leur sont offerts, en fonction de leurs usages et buts, ou non-buts, de ce qu’ils ressentent ou de ce dont ils ont envie. De leurs déambulations se construit une trace de leur personne, beaucoup plus sincère que n’importe quelle tentative de description  orale ou écrite. Les trajectoires quotidiennes des enfants qui se      croisent et s’emmèlent articulent un récit à propos d’eux mêmes, de leurs journées, des choses futiles mais essentielles. Le projet, c’est croire au lien étroit entre l’être et l’espace, lire dans les gestes banals la projection d’un individu sur un territoire donné et  lire une destination comme un besoin ou discours du corps face à une étendue. C’est aller au delà du regard normé de l’individu dans une     société qui voit le territoire comme une propriété individuelle ou de groupe, et l’utiliser comme une surface de communication entre chaque personne et chaque objet, prendre exemple sur le modèle des fourmis ou des abeilles qui communiquent par chorégraphies, suivre les lignes dessinées pour en comprendre la complexité, comme celle d’une toile d’araignée, qui crée des corps à partir du sien pour construire son propre sol, son territoire. Devenir un humain de nature, concept de Deligny par lequel il y aurait nécéssité de se remettre en phase avec un état premier de l’être humain, et qui aurait fatalement une relation plus sincère avec son environnement proche et lointain. Les Lignes d’Erre, c’est des traces de l’instinct dans l’espace, et, à petite échelle, sans aucune frontière, de mouvements et de trajectoires libres.

      
      
        

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Autour semble comme une ville de glace, qui fond, à propension d’une cité liquide. En chemin pour la grande métamorphose, qu’elle le veuille ou non. Dans un entre-deux, tiraillée entre le Nord et le Sud de sa propre histoire, entre toutes ses mythologies opposées qui la traversent. Composée d’entités sur le fil qui relie la mémoire à l’avenir proche. Ils font face à une voie unique, sans déviation possible. Elle étend son périmètre dans cette zone intermédiaire, pôle magnétique pour ceux à qui aucune direction ne convient pas vraiment. C’est une ville dans laquelle il faut construire sa propre route sans trop en attendre des pré-existants. C’est pour cela que tout est en construction, construire pour s’affranchir du vide. Construire pour accueillir tout ceux qui pensent retrouver le Nord mais qui se retrouvent à  faire face à leurs propres decisions. Ou peut-être à leur propre vacuité qu’il essayent déspérement de combler dans ce carrefour à choix multiples, parce qu’il n’existe pas encore. Rechercher la solution là il n’y a pas encore de réponse créée pour cette grande question identitaire qui plane sur ces terres, un peu plus délestée de la glace que le reste. Remplissage obsessionnel des espaces vides, peur de l’attente. Peur de cet état indéfini de choses à moitié terminées, peur de rechercher sans cesse cette sensation de complétude, aussi attirante que la lumière aveuglante des phares d’une voiture au milieu de la nuit. Les repères in-situ préalablement installés sont recouverts d’une feuille opaque, l’uniformité du territoire. La physicalité du lien, entre les terres et les gens, s’est mue en une indifférence douce-amère, comprime la possibilité d’un désir d’aller plus loin. L’oeil ne s’accroche plus qu’à un espace voilé, et expérience la difficile situation de ne plus distinguer ses propres empreintes, de     perdre ses pas dans le tracé des autres. Je voulais aussi, au tout début, laisser la trace.Tracer mes mouvements dans l’espace, comme  faire un itinéraire in situ, non reporté sur carte, car non-reportable sur carte, avec juste des haltes dans lesquelles les mots prendraient place. La trace de ces phrases dans les lieux, mettre en espace ces mots dont le sujet est la remise en liberté du sol. S’effacer de l’objet carte, trop conquérant, partir vers la  relation corporelle avec un point physique, sur le sol, les murs, ou tout élément constituant un endroit donné. Laisser presque une partie de soi sur place, ce qui revient plus ou moins au même qu’affirmer sa présence et déclarer un morceau d’espace pour soi, même si ce n’est que pour 30 centimètres de mur parmi d’autres. Plus ou moins la même chose que venir s’inscrire sur l’espace à travers   la carte, avec les mêmes intentions de propriété, finalement. À     travers le déplacement, on réalise que les choses matérielles ont de moins en moins de sens à être, que le matériel a une emprise sur l’espace, un contrôle, qui reste, à l’opposé d’un corps mobile. La pérennité d’une production matérielle, quelle qu’elle soit, est un espace pris pour acquis par celui qui en est la source. Un espace qui n’est évidemment plus disponible pour le reste, un espace dont la temporalité a été décidée par un corps autre que celui du sol ou de sa seule évolution. Au final, juste le rejet de l’objet plan « carte » est incomplet, c’est le re-questionnement des éléments qui figent les terres vers lequel il est plus pertinent de se tourner. Dont, entre autres, la carte. Penser plutôt la relation avec l’espace comme un flux, autant temporel que physique, ne jamais stopper le mouvement et toujours accompagner une progression. C’est comme penser à une sorte de coopérative entre tous les corps qui occupent le sol, et repenser, en fait, la relation entre le corps et les terres, les terres et les frontières, des fissures comme des fictions.