Une société de collectivités se reposant sur une division du sol par la grille du territoire, un sol comme premier bien acquis, au détriment de la communauté, et de la cohésion de celle-ci. Une grille qui vient séparer les individus, créer des poches à l’intérieur des groupes, des poches dont le statut varie, créant des hiérarchies sociales et culturelles, autant d’un pays sur l’autre qu’à l’intérieur de ceux-ci, avec un rapport de force ( qu’il soit social ou financier ) entre les différents lieux, régions, villes, quartiers. C’est un territoire comme une échelle sur lequel s’étale les hiérarchies et les sub-hiérachies. Un territoire créé par un filet de lignes, des lignes qui déterminent du caractère public ‒ ou non ‒ de ce qui est révélé sur la réalité du sol en dessous des cartes, et de l’imaginaire qui s’en déploie.
L’écrivain Philippe Vasset s’employe à combler les vides créés par tout ces ensembles d’écrans occultants et du manque d’informations dans les documents topographiques. Il part d’une frustration, face à la surface plane de la carte, attendue transparente mais qui, en fait, est opaque sur beaucoup plus de points qu’elle ne pourrait laisser penser. De cette vacuité qui existe sur des terres qu’il connait pourtant bien, celles de son quartier, de villes familières en région parisienne. Des zones blanches opaques, des zones de rien-rien qui n’est sensé être communiqué sur papier. Vasset va partir à la rencontre de cet inconnu, de ce qui n’existe pas et qui a pourtant forcément une forme physique. Il va partir mettre son corps en jeu, à travers ces zones qui ne sont pas encore révélées, dans lesquelles, au final, tout peut exister. C’est de cette expérience physique que Vasset a constaté que ce qui est opaque n’est pas inconnu, mais occulté. Que toutes ces choses, toute la vie qu’il y a dans ces espaces ne rentre tout simplement pas dans l’image que la société veut donner d’elle-même. Des terrains vagues, en cours de destruction, de construction, abandonnés, des camps de sans-abris ou de migrants, sont ce qui forme ces territoires exclus et suspendus, dans l’attente d’être part d’un ensemble, celui de la majorité qui occupe le reste des terres. La carte, sous couverture d’avoir une vue plongeante sur ce qu’elle représente, reste un outil tant pour affirmer sa domination au sol que pour contrôler la population installée. Cacher, retirer à la vue. Retirer ce qui existe. En même temps, ne pas cartographier, c’est aussi assumer ne pas en avoir de contrôle. Ne pas avoir le contrôle, donc nier. Nier, retirer le droit aux terres d’exister, après avoir affirmé son emprise sur l’ensemble d’un territoire donné, et que la machinerie mise en place n’a pas fonctionné, omettre les poches qui restent, rejetées du système parce qu’il n’y a pas de solution aux laissés pour compte. Des bulles de nulle-part, les ban-lieux, des lieux bannis du territoire. De nouvelles frontières se créent, entre les quartiers, les milieux sociaux. Des poches qui n’existent plus. Le territoire, projection sur l’espace des populations qui l’investissent, est dépendant de la société à laquelle il est intimement lié, son existence même est un artefact, créé par la carte, la frontière, et le dialogue de dominance entre les populations. C’est une création sociétale, toile tissée de liens de propriété, de contrats de vente, d’une constellation de profits immobiliers qui laissent derrière ceux qui n’ont pas capacité de les poursuivre. La frontière ‒ l’appropriation de la terre ‒ propage son impact autour de la brèche qu’elle forme, et finit par craqueler l’ensemble de l’espace disponible, et crée une multitude de morcèlements, de poches.
05/04/18_ 64.078891, -21.939326.
Toute une journée avant d’outrepasser la mer du Nord, afin d’arriver à l’Ouest des rives gelées de l’Océan Atlantique, aux côtes de ce presque continent vert, mais blanc. Attendre en arrière plan, à l’affût du rythme de l’aiguille, avant de s’engager vers un énième seuil. Voyager avec l’horloge, presque sur place. Observer le temps parcourir l’espace, épuiser la journée, jusqu’au point de départ. Traverser un périmètre donné par tous les moyens à disposition. Regarder les rues s’enchaîner les unes après les autres sans en avoir une pleine compréhension, et considérer ce sentiment d’étrangeté, qui au fil des semaines, est de plus en plus familier. Se sentir à la fois proche et éloignée, apprécier les variations de distances ressenties. Tout paraît à portée, mais inaccessible par plusieurs points différents. Pénétrer ces territoires muets et comprendre peu à peu le silence, jusqu’à distinguer son propre écho dans les itinéraires disponibles, témoignant des nombreux passages de ces individus dont il n’est connu que les voies qu’ils ont emprunté. Rejoindre cette masse aux molécules multiples. Prendre un ensemble de lignes de bus qui forment un motif géométrique aléatoire. Rejoindre une première étape et attendre de nouveau. C’est réaliser qu’au final le mouvement est un enchaînement d’attentes aux formes diverses, qui entrent en dialogue avec une querelle entre les situations actives et passives.